Agée de 25 ans, Gabrielle Lavenir a entrepris la rédaction d’une thèse sur les personnes âgées et le jeu vidéo. Ses travaux de recherche ont débuté il y a trois ans à l’université Concordia à Montréal. La jeune femme est de retour en France depuis septembre 2018 pour mener son terrain de recherche, en partenariat avec Silver Geek. La jeune femme sillonne la France pour assister aux ateliers de l’association. Armée de son carnet d’observation, elle note avec le moindre détail les rapports qu’ont les seniors au jeu vidéo.
1/ L’exercice est délicat mais comment résumez-vous votre travail de recherche ?
Dans les grandes lignes, je travaille sur le jeu vidéo et la question du vieillissement. Ce qui m’intéresse le plus, c’est le décalage entre les projets des institutions et la réalité des pratiques. Je me base sur une méthode ethnographique dont l’objectif est de confronter les discours institutionnels et les usages.
2/ Quels sont les préjugés que l’on peut avoir sur les seniors et le jeu vidéo ?
Le jeu vidéo a fait face à de nombreuses idées reçues. En vingt ans, on est passé de « c’est dangereux, ça rend violent » à « ça va sauver le monde » . Aujourd’hui, une partie du discours public sur le jeu vidéo a évolué. On entend désormais des discours qui disent « les jeux vidéo vont nous aider à être en meilleure santé, à être plus productif, plus souriants, plus sociaux ».
C’est un phénomène très courant pour les nouvelles technologies. On a fait la même avec l’imprimerie, le téléphone, l’électricité etc. On passe de la grande panique à l’enthousiasme le plus fou.
Le sujet du vieillissement quant à lui, concerne une position très compliquée dans la société moderne. On s’intéresse avant tout à la productivité économique des gens. Les personnes qui ne sont pas dans cette catégorie sont mises à l’écart. C’est un peu la même chose pour les jeunes, on considère qu’ils n’ont pas réellement leur mot à dire avant d’entrer dans le monde du travail. A travers mon terrain de thèse, j’essaye d’aller au-delà de ces discours pour les confronter à la réalité des ateliers de Silver Geek.
3/ A l’issue des différents ateliers que vous avez observé est-ce que les personnes âgées jouent aux jeux vidéo d’une façon différente de nous ?
La réponse est oui et non. Lorsque j’assiste à des ateliers, les phrases prononcées me font penser à celles d’adolescents de 15 ans. Les réactions sont similaires et il y a un vrai esprit de compétition qui se met en place.
La différence se trouve dans les conditions de jeu. Les personnes âgées sont présentes dans un cadre bien spécifique qu’est celui des Ehpads. Il existe aussi des règles relatives au jeu en collectivité. Les résidents qui sont habitués à venir prennent plaisir à renouveler ce rendez-vous chaque semaine. Pour d’autres, il faut d’abord passer par le statut d’observateur pour se laisser tenter par l’activité.
4/ Quels sont les différents profils que vous observez lors des ateliers ?
Les usages sont tellement différents d’un atelier à l’autre qu’il est complexe de tirer des conclusions. En revanche, je peux faire part de certaines observations.
Il y a des seniors qui privilégient le divertissement et le jeu. C’est une activité dans le prolongement du divertissement classique comme un concours de belote.
D’autres résidents insistent sur le fait que c’est une occasion intéressante de rencontrer du monde, notamment dans les compétitions inter-ehpad. Pour eux, c’est l’aspect social qui prime.
Il y a aussi ces personnes qui veulent maîtriser un usage spécifique. Ce sont des seniors qui vont vouloir pouvoir jouer au tarot su tablette lorsqu’il n’y a personne de disponible pour jouer.
Il y a aussi ceux qui sont de simples curieux. Par exemple, un monsieur est venu à un atelier tablette en demandant comment consulter un site d’information en ligne. Les approches sont donc nombreuses mais je n’ai jamais entendu un résident dire « je suis vieux et c’est bon pour ma santé ».
5/ Quelle est l’originalité de Silver Geek par rapport aux autres initiatives qui existent ailleurs ?
L’intergénérationnel est l’une des spécificités de l’association. Sur le terrain je vois des jeunes qui prennent au sérieux leurs interlocuteurs. Ce côté infantilisant que l’on peut voir envers les personnes âgées disparaît totalement avec les jeunes bénévoles. Ils sont considérés comme des citoyens, il y a beaucoup de respect dans l’échange.
Les jeunes en service civique qui animent les ateliers sont parfois en situation désavantagée avec des situations de décrochage scolaire ou des doutes sur leur orientation. Ces échanges leur apportent beaucoup.
Enfin, les ateliers n’ont rien d’obligatoire, ce qui offre un moment de liberté pour les personnes âgées, souvent contraintes de suivre un emploi du temps. C’est une marque de respect de leur laisser la liberté de choisir ou non de participer à cette activité.
Propos recueillis par Ralitsa DIMITROVA.